Mohammed al-Cheikh, premier souverain wattasside innove : son makhzen, sa garde et son armée sont tous arabes. Malgré une tentative d’imposer des réformes nécessaires, une politique matrimoniale habile et tous leurs efforts pour s’attirer la sympathie des tribus arabes et des chorfas, les Wattassides ne parviennent pas à obtenir leur adhésion. Marqués par leurs origines et leur parenté Mérinide et Zénète, il leur manque l’indispensable prestige religieux. Les Wattassides lient leur échec à maîtriser la féodalité et à rassembler les terres éparpillées du royaume à cette absence de prestige religieux. Aussi, au lieu de lutter contre les Portugais, ils développent la guerre civile. Inquiets des progrès des chorfas Saadiens dans le Sud, ils cherchent un appui chez les Turcs. La chute de Grenade, événement extérieur que les Wattassides sont incapables d’empêcher, augmente leur impopularité.
Un des facteurs déterminants de cette incapacité venait du fait que le Détroit était aux mains des Portugais qui occupaient les trois principaux ports de la côte marocaine, à savoir Ceuta (prise en 1415), Tanger (prise en 1471) et El-Ksar al-Seghir (prise en 1458). Après la victoire de Grenade en 1492 par les troupes des « Rois Catholiques », Ferdinand d’Aragon et Isabelle de Castille, les Andalous sont expulsés de la péninsule ibérique. Ils s’installent à Tétouan, Fès ou Salé, exerçent le commerce ou l’artisanat. Mais le malaise s’étend. En effet, les Andalous ont conscience d’être mal accueillis, de ne pas être choisis pour participer au makhzen wattasside. Ils vont néanmoins contribuer par leur présence et leur ingéniosité à redonner une certaine vigueur à l’art marocain, en particulier dans le domaine de l’hydraulique.
Sous le règne de Mohammed al-Cheikh, le Maroc souffre d’un démembrement et de la dissociation territoriale. Au Nord, des régions toutes entières entrées en dissidence refusent l’autorité du sultan Wattasside alors qu’au Sud, la région de Marrakech se rend indépendante. Au même moment, les Portugais s’implantent de plus en plus largement sur le littoral atlantique.
Les règnes des quatre autres sultans wattassides – Mohammed al-Bortougali « le Portugais » (1505-1524), Ahmed al Wattassi (1524-1548 ; puis 1548-1550), An Nasir al-Qasri (1548) et Bou Hassoun (1554) – furent une succession d’échecs aussi bien face aux Portugais qu’ils combattaient par instants ou avec lesquels ils concluaient de longues trêves que face au démembrement du Maroc. Au Nord, les émirs de Tétouan et de Chechaouen deviennent quasiment indépendants du Sultan. De plus, étant en première ligne face aux Portugais, ils deviennent chefs de guerre sainte, défenseurs de l’Islam. Au Sud, la montée en puissance de la famille Saadienne, maîtresse de Marrakech depuis 1522, représente une véritable menace pour le pouvoir Wattasside. Les Saadiens reconnus comme “cherifs” jouissaient d’un immense prestige surtout depuis que l’un des leurs, Abou Abdallah, avait, dans le Souss, pris la tête de la résistance contre les Portugais. Ils réussirent à arracher Agadir aux Chrétiens en 1541 et les forcèrent à évacuer Safi et Azemmour qu’ils avaient prises en 1481 et 1486. Ils apparaissent comme les champions de l’Islam alors que les Wattassides avaient conclu une courte trêve avec les Portugais afin de pouvoir combattre sur un seul front, celui du Sud, celui des Saadiens. Lutte qui se solda par la chute des Wattassides et la victoire des Saadiens.
L’impuissance de la dynastie wattasside à rétablir la paix et l’unité et à mettre un terme à la conquête portugaise aggrava la décadence marocaine déjà amorcée sous les Mérinides. La vie économique et culturelle et la création artistique du pays en pâtirent gravement ne pouvant s’épanouir dans un climat d’insécurité et d’instabilité totales. Nos connaissances sur cette periode demeurent très vagues. Cependant, de nouveaux foyers « culturels » ruraux, les zaouias, se multiplient à la fin du XVe siècle et au début du XVIe siècle, attestant du regain de vie religieuse caractéristique des périodes de grandes crises. Ces centres de divulgation religieuse remplacent en quelque sorte les medersas citadines que le pouvoir ne soutient plus. Les zaouias dispensent un enseignement religieux « engagé », dominé le plus souvent par la notion de jihad, la conservation de valeurs menacées, le renforcement de l’obéissance à des règles indiscutables et la méfiance de la discussion, des échanges intellectuels. Par la suite, les zaouias font de leurs étudiants des propagateurs actifs du rayonnement de la zaouia qui les a formés. Le genre littéraire dominant alors est celui de l’hagiographie. La puissance d’un grand nombre de ces confréries ou zaouias devient très rapidement prépondérante. C’est ainsi que les zaouias « Chadiliya » du Draa, du Souss, font désigner comme chefs de Guerre Sainte des Saadiens, membres d’une famille chérifienne du Draa qui par la suite allait fonder la dynastie Saadienne.