Biographie : Vit et travaille à Rabat LA FORCE DE L’INCROYABLE Cela fait plus de deux décennies que Aïssa Ikken fait de la peinture en dévoilant au grand jour la passion du signe qui l’habite. Pas n’importe quel signe : celui qui témoigne de notre présence au monde et de notre volonté d’en saisir la face cachée. Rien ne serait donc plus illusoire que de vouloir rattacher sa peinture à une quelconque identité aux contours figés. Ce qui compte avant tout pour lui, c’est la recherche d’une forme d’art (une poétique) qui exprimerait le rapport de l’homme (aux plans historique et mythique) face à son destin. La question de l’origine ne semble l’intéresser qu’en tant que possibilité de dépassement et d’ouverture. L’art n’est-il pas précisément le lieu par excellence d’une archéologie de la quête et de la perte ? Ainsi, la force de Aïssa Ikken est d’avoir réussi à résister à toutes les modes, comme s’il portait un secret qu’il voulait tout à la fois garder et mettre en « image » en le transfigurant à l’infini. Si bien que face à chacun de ses tableaux, nous avons le sentiment de plonger dans l’Histoire la plus enfouie de l’humanité. Le signe est en fait ici déroutant et captivant en même temps. Car il est toujours le même et autre dans une ambiance où le visible et l’invisible se télescopent, où l’humain prend sans cesse les traits d’êtres et d’objets immémoriaux. Ce même effet esthétiques est aussi parfaitement matérialisé par le travail que le peintre s’applique à mettre en évidence en sculptant sur la pierre des figures et des motifs de mythes millénaires. Osons le dire : la peinture d’Ikken se donne à lire comme une récit épique et dramaturgique s’attachant à évoquer, dans un même geste, le merveilleux et le fantastique tels qu’ils sont déclinés à travers de multiples références aux vieilles civilisations méditerranéenne, africaine et transatlantique. Est-ce peut-être là que réside la singularité de son travail et toute la beauté de son art : dans l’investissement d’autres lieux qui n’ont cessé de nous instruire, ici au Maroc, sans le savoir ? Si le rôle du peintre est d’étonner, Aïssa Ikken ne faillit nullement à ce principe. Sa peinture est un véritable foyer de rêves, d’imageries, de représentations qui sont de l’ordre de l’incroyable. Un incroyable si proche pourtant de la réalité et qu’il semble suggérer telle qu’elle peut se manifester dans sa propre différence. On pourrait dire d’un mot que nous avons là tous les ingrédients d’une peinture-palimpseste. Car l’enjeu dans la peinture d’Ikken est que tout se transforme dans une dynamique de quête poussée à son extrême apogée. Il suffit de bien voir pour capter cette intense vitalité. Les signes (qui sont en fait autant de cellules vivantes) fusent de toutes parts sous la lumière de quelques couleurs tant affectionnées par le peintre : l’ocre, le bleu, le noir… ils se perdent et se retrouvent dans leur entrelac. Tantôt éparpillés et tantôt agglutinés, ils prennent des formes souvent minimalistes ou quelquefois agrandies mais toujours dansantes selon leur propre rythme intérieur. Cette haute maîtrise du geste pictural n’est-elle pas une extraordinaire tentative de capter les multiples figures d’une (ir) réalité qui est sans doute la nôtre, mais dont nous sommes éloignés ?. Abderrahman TENKOUL